Pleins feux sur Matthew Farrer

Faire bouger un peu les choses

Matthew Farrer, de l’University of British Columbia, a ajouté un nouveau champ de recherche à sa chaire : l’étude des mutations génétiques responsables de l’épilepsie.

À son arrivée à l’University of British Columbia en 2010 en tant que titulaire de la Chaire d’excellence en recherche du Canada sur la neurogénétique et les neurosciences translationnelles, Matthew Farrer avait déjà fait certaines des contributions les plus importantes de la décennie précédente à la recherche sur la maladie de Parkinson.

Depuis son entrée en poste à l’University of British Columbia, M. Farrer continue de réaliser des progrès remarquables dans la lutte contre cette maladie. Le chercheur et son équipe ont notamment découvert plusieurs gènes de la forme tardive (classique) de la maladie de Parkinson, dont les plus importants sont les gènes VPS35 p.D620N et RME-8 p.N855S. M. Farrer a également réussi à mettre au point des modèles murins (de souris) « knock-in » pour les deux gènes. Cela signifie qu’il peut recréer la maladie chez une souris en insérant ces gènes à un endroit bien précis de son génome.

D’autres recherches sur ces modèles de même que sur de précédents modèles génétiques d’un gène dit LRRK2 (que M. Farrer a découvert en 2005) ont révélé qu’une voie moléculaire centrale dans le cerveau est perturbée chez les sujets atteints de la maladie. Il est maintenant reconnu à l’échelle internationale que cette perturbation constitue l’un des plus importants facteurs de risque de la maladie de Parkinson. 

Les travaux de M. Farrer semblent indiquer que, dans de nombreuses formes génétiques de la maladie de Parkinson, la chandelle brûle avec deux fois plus d’intensité, mais deux fois moins longtemps. « Le cerveau humain compense très bien, explique-t-il, mais avec l’âge, cette compensation cesse, et les symptômes de la maladie deviennent plus apparents. »

Jusqu’à tout récemment, les pharmaceutiques se sont concentrées sur le soulagement des symptômes des personnes atteintes et sur la pathologie post mortem. « Si ces éléments sont réellement importants, indique M. Farrer, nos recherches, elles, permettent d’expliquer les causes des symptômes et de la pathologie. Elles offrent ainsi plus tôt des cibles plus précises et plus rationnelles pour la mise au point de médicaments. »

Il peut sembler étonnant que M. Farrer, qui connaît autant de succès, ait apparemment changé de voie pour relever un nouveau défi, celui d’étudier les gènes associés aux troubles convulsifs, en particulier les mutations génétiques qui causent l’épilepsie.

« Je ne m’éloigne pas vraiment de ma voie, puisque je continue de me consacrer à la recherche sur la maladie de Parkinson. Toutefois, dès le départ, ma chaire d’excellence en recherche du Canada était axée sur la création d’un centre de recherches en neurogénétique appliquée (le Centre for Applied Neurogenetics) et en neurosciences translationnelles, ajoute-t-il. La recherche sur la maladie de Parkinson n’en représente qu’un élément. Nos méthodes et notre expertise interdisciplinaires sont pertinentes pour tous les troubles cérébraux; pour certains de ces troubles, cependant, la possibilité d’influer sur les soins est plus immédiate. L’équipe étudie également la démence, la sclérose en plaques et les troubles convulsifs. »

Établi dans le Djavad Mowafaghian Centre for Brain Health – fruit d’un partenariat entre la Vancouver Coastal Health et la Faculté de médecine de l’University of British Columbia –, le centre de M. Farrer mène depuis 2012 un programme de recherche sur l’épilepsie réfractaire (qui résiste au traitement).


« Je me suis dit que je pourrais peut-être aider. »

« C’est Mary Connolly qui a attiré mon attention sur l’épilepsie infantile », précise M. Farrer.

Mme Connolly, qui est chef de division au Département de pédiatrie de l’University of British Columbia et directrice du programme de chirurgie de l’épilepsie à l’hôpital pour enfants de la Colombie-Britannique, a parlé à M. Farrer de la nécessité d’aider les familles ayant un enfant atteint de troubles convulsifs. « Certains des cas dont elle m’a parlé étaient tragiques. Je me suis dit que je pourrais peut-être aider. »

L’épilepsie est l’une des maladies infantiles les plus invalidantes, et c’est la principale raison pour laquelle les enfants sont traités par des neuropédiatres. Chaque année, plus de 23 000 Canadiens reçoivent un diagnostic d’épilepsie; de 75 à 85 p. 100 d’entre eux sont des enfants.

Les convulsions récurrentes caractérisent l’épilepsie. L’intervention médicale habituelle consiste à prescrire un anticonvulsivant. « Malheureusement, explique M. Farrer, ce médicament ne fonctionne tout simplement pas chez environ 35 p. 100 des enfants épileptiques. »

« Le pire, ajoute-t-il, c’est que la recherche a établi que les malades chez qui deux anticonvulsivants ou plus ne fonctionnent pas n’ont pratiquement aucune chance de voir leurs crises disparaître avec un autre médicament, quel qu’il soit. Dans certains cas, même, la situation s’aggrave si le malade est traité avec certains médicaments courants contre l’épilepsie. »

 On ne peut vraiment pas sous-estimer l’énorme fardeau que l’épilepsie impose au malade, à sa famille, à la société et, bien évidemment, au système de santé. 

Les effets de la pharmacorésistance sont les plus marqués chez les enfants de moins de trois ans. Plus grave encore, le taux de mortalité chez les enfants atteints d’épilepsie réfractaire est cinq fois plus élevé que celui observé chez les enfants en santé. De plus, les enfants et les jeunes atteints d’épilepsie présentent souvent des taux beaucoup plus élevés de difficultés affectives, comportementales, sociales et scolaires que ceux qui sont atteints d’autres affections chroniques.

« Les recherches [Tellez-Zenteno, 2007; Berg, 2012] ont montré qu’ils sont susceptibles de développer également une déficience intellectuelle, un trouble du spectre de l’autisme, un trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité, ainsi que de graves problèmes de comportement et troubles psychiatriques », indique M. Farrer.

« On ne peut vraiment pas sous-estimer l’énorme fardeau que l’épilepsie impose au malade, à sa famille, à la société et, bien évidemment, au système de santé », affirme-t-il.

« Les méthodes utilisées actuellement au Canada pour le dépistage génétique restreignent la capacité du médecin de déceler en temps voulu ces troubles génétiques. Par conséquent, certains ne seront pas diagnostiqués, explique-t-il. Nous avons besoin d’un diagnostic moléculaire précoce pour maîtriser les crises chez les nourrissons et les jeunes enfants atteints d’épilepsie réfractaire. »


Un changement immédiat dans les soins, qui parfois sauve des vies

La cause de l’épilepsie demeure inconnue chez plus de la moitié des enfants. Les crises constantes et non maîtrisées ont une incidence considérable sur le développement du cerveau et sur l’apprentissage.

« À l’heure actuelle en Colombie-Britannique, et probablement dans plusieurs autres provinces, les tests offerts pour le dépistage des troubles convulsifs sont inadéquats. Seuls deux tests génétiques sont disponibles, et il faut une ponction lombaire pour obtenir l’un d’entre eux », signale M. Farrer.

« Ces quatre dernières années, nous avons montré ce qui peut être fait par séquençage à haut débit pour déterminer les causes de l’épilepsie. Nous avons montré de quelle façon cette information peut changer les soins prodigués aux malades. »

M. Farrer et son équipe arrivent à séquencer l’ensemble des 20 000 gènes en un seul essai et à délimiter un sous-ensemble de la variabilité dans quelque 1 000 gènes.

« Nous avons effectué une étude qui portait sur 160 nourrissons et leur famille et nous avons établi un diagnostic moléculaire précis chez plus de 30 p. 100 des nourrissons », dit-il. « Cela a mené à un changement immédiat dans les soins prodigués à 16 p. 100 d’entre eux, ce qui a permis de sauver la vie de certains. Ces résultats sont extrêmement satisfaisants pour moi, et bien sûr pour les familles touchées. La contribution de nos services cliniques a été des plus importantes. »

Les travaux de M. Farrer sont si avant-gardistes que son équipe figurait parmi les quatre groupes dont les travaux ont été soulignés à l’assemblée annuelle de l’American Epilepsy Society, à Philadelphie en décembre 2015.

« Ces travaux procureront des avantages considérables aux familles dont les enfants souffrent de troubles convulsifs, précise M. Farrer. J’aimerais beaucoup que ce type de dépistage devienne pratique courante. Il s’agit d’une approche révolutionnaire : une médecine personnalisée, une médecine de précision, une médecine de pronostic, plutôt que des soins généralistes. C’est une approche qui accélérerait le diagnostic de nombreux troubles complexes, mais qui est coûteuse, du moins à court et à moyen terme. À long terme, je pense qu’elle permettrait aux ministères de la Santé provinciaux d’économiser beaucoup d’argent. »

 Nous avons besoin d’un diagnostic moléculaire précoce pour maîtriser les crises chez les nourrissons et les jeunes enfants atteints d’épilepsie réfractaire. 

M. Farrer continue d’explorer le génome des nourrissons chez qui l’origine des troubles convulsifs n’a pas encore été expliquée, afin de cerner la contribution de gènes nouveaux, de divers groupements de gènes et de réarrangements structurels du génome. Il travaille également de concert avec la Faculté des sciences pharmaceutiques de l’University of British Columbia afin de déterminer s’il est possible d’adapter ou d’améliorer le traitement dans les cas où un diagnostic moléculaire a déjà été établi par son équipe.

Il admet être à la fois « très optimiste et très pessimiste » quant à l’avenir de ses recherches et à sa capacité de continuer d’offrir le service aux familles ayant un bébé atteint de troubles convulsifs.

« J’ai été très chanceux d’obtenir du financement par l’intermédiaire du Programme des chaires d’excellence en recherche du Canada, de la chaire B.C. Leadership in Genetic Medicine de la Colombie-Britannique et de l’Alva Foundation, poursuit-il. Ce financement prendra fin – et, quoi qu’il en soit, ne devrait en aucun cas servir au maintien de services cliniques, même si les neuropédiatres et les familles désespérées en ont grandement besoin. »

C’est pourquoi il collabore avec une équipe clinique agréée à la création d’une installation pouvant offrir des tests semblables. La faculté des sciences pharmaceutiques de l’University of British Columbia a été visionnaire en acceptant d’appuyer cette initiative, affirme M. Farrer.

« J’aimerais que la séquence génomique de tous les nouveau-nés se trouve dans leur dossier clinique et puisse ainsi aider au choix des futurs traitements, dit-il. Bien entendu, il faudrait former tous les médecins, mais la médecine se transforme si rapidement… »

« Au 18e siècle, on aurait pu vous offrir une sangsue pour traiter un trouble du système nerveux. Au 19e siècle, cela aurait pu être une lobotomie. Simplement parce qu’il n’y avait rien de mieux. Aujourd’hui, par contre, nous disposons de technologies transformatrices en séquençage et en informatique qui constituent une solution judicieuse du point de vue économique. Il nous faut seulement trouver le courage de faire bouger un peu les choses de façon à rendre ces technologies accessibles à tous. »