Un Canadien sur cinq souffre de douleur chronique. Les patients ne réagissent pas tous aux médicaments de la même façon, et certains n’y réagissent pas du tout. Luda Diatchenko, chercheuse de renommée internationale dans le domaine de la génétique de la douleur, veut offrir à chaque personne touchée un traitement qui lui convient.
Imaginez que vous posez la main sur l’élément de la cuisinière et que vous l’allumez. Combien de temps faudra-t-il pour que vous ressentiez de la douleur? Cela dépend de vos gènes, affirme Dre Luda Diatchenko, titulaire de la Chaire d’excellence en recherche du Canada sur les mécanismes génétiques de la douleur chez l’humain de l’Université McGill.
« Notre sensibilité à la douleur est déterminée à 50 p. 100 par notre constitution génétique », explique la scientifique, en poste à l’Université McGill et à son Centre de recherche sur la douleur Alan-Edwards depuis 2013.
Il y a dix ans, Luda Diatchenko a soumis 202 femmes en bonne santé à des tests de sensibilité à la douleur à l’University of North Carolina. Aux fins de l’expérience, les chercheurs ont appliqué un petit cylindre de métal sur la peau des volontaires et l’ont chauffé légèrement pour déterminer leur seuil de tolérance. Ils ont ensuite envoyé des impulsions de chaleur à une température un peu moins élevée. Ces tests ont permis à la Dre Diatchenko de découvrir un indice génétique clé permettant d’expliquer pourquoi certaines personnes peuvent tolérer des niveaux de douleur qui provoqueraient d’intenses souffrances chez d’autres.
Elle a découvert que les femmes qui avaient senti la chaleur plus rapidement et éprouvé davantage de douleur à chaque impulsion de chaleur présentaient une variante d’un gène appelé COMT. Ce gène produit une enzyme qui régule les hormones du stress en les métabolisant. Les personnes qui présentent cette variante d’« hypersensibilité à la douleur » ou HPS (de l’anglais high-pain sensitivity) du gène ressentent la douleur plus vivement parce qu’elle inhibe l’activité de l’enzyme COMT, ce qui entraîne un surplus d’hormones de stress non métabolisées. Les porteurs de la variante HPS sont aussi plus susceptibles de souffrir de maladies occasionnant une douleur chronique, comme la fibromyalgie et les troubles de l’articulation temporomandibulaire, qui touchent environ 10 p. 100 des Canadiens.
Cette découverte était très prometteuse parce que c’était la première fois qu’un chercheur établissait un lien entre un marqueur génétique commun et des expériences de la douleur nettement différentes
La Dre Diatchenko compte aujourd’hui cartographier d’autres mécanismes génétiques à l’origine de la douleur chronique afin que l’on puisse mettre au point des traitements personnalisés beaucoup plus efficaces pour des affections courantes comme la lombalgie, la céphalée de tension et l’arthrite.
« La douleur est le principal motif de consultation médicale, et elle coûte davantage à la société que le cancer, le diabète et les maladies du cœur réunis, précise-t-elle. Les médecins cliniciens veulent savoir quel médicament sera le plus efficace pour chaque patient, et nous voulons leur donner les outils nécessaires pour adapter le traitement au profil génétique du patient. »
Parmi les pistes que la Dre Diatchenko explore se trouve le recours aux bêtabloquants (protéines qui se lient aux hormones de stress et en réduisent les effets), une classe de médicaments généralement utilisée dans le traitement des maladies du cœur. Dans une étude réalisée en 2010, la Dre Diatchenko a montré que le propranolol, un bêtabloquant, exerçait une action anti-douleur plus marquée chez les patients souffrant de douleur chronique qui étaient porteurs de la variante HPS du gène COMT que chez ceux qui présentaient les autres variantes du gène. Elle prévoit maintenant vérifier l’efficacité d’un autre bêtabloquant qui, dit-elle, cible mieux les récepteurs de la douleur et a moins d’effets secondaires (le propranolol pouvant entraîner de la somnolence et la dépression).