Pleins feux sur Robin Rogers


Un scientifique spécialisé en chimie verte suit les traces de George Washington Carver

Imaginez un monde où les activités commerciales seraient vertes, durables et renouvelables, où une augmentation des produits écologiques mènerait inévitablement à la création d’emplois et où les déchets seraient transformés pour servir à de nouvelles industries. Cette vision n’est pas qu’utopique, elle représente l’objectif poursuivi par Robin Rogers, nouveau titulaire de la Chaire d’excellence en recherche du Canada sur la chimie et les produits chimiques écologiques de l’Université McGill. Pour y parvenir, il suit l’exemple de l’un de ses héros : George Washington Carver.

On doit à ce scientifique et inventeur américain d’avoir sauvé les cultivateurs de coton d’Alabama de la famine et de la ruine pendant les grandes infestations de charançons du coton de la fin du 19e siècle et du début du 20e siècle. Lorsqu’il travaillait à la Tuskegee University de l’Alabama, M. Carver a mené des recherches et fait la promotion de cultures de remplacement, notamment les arachides et le soja. Il a découvert que ces cultures permettaient de revitaliser le sol épuisé par des plantations répétées de coton. Ces nouvelles cultures commercialisables ont en fin de compte généré une toute nouvelle économie.

Selon M. Rogers, « ce que M. Carver a fait, nous le faisons aujourd’hui avec la chimie verte. Il a établi une sorte de contrat social entre l’université et la société, dans son cas, les fermiers. Il leur a montré comment cultiver un nouveau produit agricole, les arachides, puis il a développé et obtenu des brevets pour des centaines de nouveaux produits, notamment le beurre d’arachide. Grâce à M. Carver, les fermiers ont pu augmenter leur gagne-pain et améliorer leurs conditions de vie. Aujourd’hui, la chimie verte est parfaitement positionnée dans la société pour avoir le même effet. »

 Imaginez si nous pouvions faire la même chose avec le plastique et mettre au point de nouveaux matériaux polymérisés renouvelables qui remplaceraient tous les plastiques synthétiques. 

Alors que M. Carver travaillait avec des arachides, M. Rogers met au point de nouveaux produits à partir de polymères renouvelables. Son but : inciter la société à se tourner vers la consommation de produits durables. M. Rogers est conscient que les consommateurs sont souvent autant influencés par le coût et la qualité d’un produit que par le désir de soutenir l’environnement. C’est pourquoi ses travaux de recherche s’orientent vers des produits de remplacement de haute qualité, qui coûtent moins cher, qui durent plus longtemps et qui sont produits par des procédés écologiques.

Cette « transition de transformation » s’appuie sur plusieurs précédents. M. Rogers cite l’exemple du film photographique, auparavant le seul support permettant de prendre des photos, et qui a été presque entièrement remplacé par la technologie numérique. Bien qu’il puisse y avoir des désavantages au numérique, ce fut un pas dans la bonne direction.

« Imaginez si nous pouvions faire la même chose avec le plastique et mettre au point de nouveaux matériaux polymérisés renouvelables qui remplaceraient tous les plastiques synthétiques, ajoute-t-il. Si nous étions capables de mettre au point un matériau qui coûte moins cher, qui est plus résistant et qui dure plus longtemps – un matériau assez résistant et assez sécuritaire pour être utilisé aussi bien pour construire une voiture ou un avion que pour fabriquer une brosse à dents. Nous l’utiliserions alors peut-être non pas parce qu’il est “plus écologique”, mais parce qu’il coûte moins cher. Toutefois, ce matériau doit aussi être meilleur que ce que l’on a déjà et il doit être durable. »

M. Rogers a déjà obtenu des résultats exceptionnels avec des transitions de transformation. Par exemple, en 2002, avec son équipe de l’University of Alabama, il a découvert un solvant capable de dissoudre la cellulose, le principal polymère du papier. M. Rogers a ensuite découvert qu’il était possible d’extraire ce polymère directement des arbres à l’aide de liquides ioniques pour créer une source de biomasse qui pourrait être directement utilisée pour produire du carburant, des fibres ou des matériaux spécialisés, par exemple. La compagnie BASF a depuis acquis les autorisations pour utiliser et commercialiser ce solvant.

« L’industrie forestière du Canada a souffert ces derniers temps, souligne M. Rogers, mais grâce à l’expertise inégalée de l’Université McGill en matière de nouvelles technologies de fabrication vertes – McGill a mené la première recherche sur la cellulose nanocristalline, qui a inspiré de nombreux nouveaux produits pour l’industrie forestière –, nous pouvons proposer à l’industrie forestière de ne plus faire de papier, mais plutôt de faire des polymères ou des plastiques renouvelables ou encore des fibres et des produits médicaux. Si nous pouvons trouver les personnes adéquates avec lesquelles travailler, nous aurons la capacité de contribuer de façon importante à l’industrie. »

L’industrie de la pêche est un autre domaine dans lequel M. Rogers pense pouvoir apporter de grands changements. Il a récemment lancé une nouvelle industrie qui utilise la chitine, un polymère que l’on trouve dans la carapace des crevettes, des crabes et d’autres crustacés, comme base pour fabriquer des produits médicaux, comme le matériel de suture et les supports biocompatibles pour la croissance des os. M. Rogers croit que, bien conçus, les matériaux dérivés de la chitine pourraient faire en sorte que la carapace des crevettes ait davantage de valeur que la chair des crevettes.

 Ce que nous tentons de faire, c’est de monter une gamme de nouveaux produits écologiques qui permettront de créer de nouveaux emplois et de faire croître l’économie. 

« Nous avons découvert un moyen unique d’obtenir le polymère directement des déchets, souligne-t-il. Ce que nous tentons de faire, c’est de monter une gamme de nouveaux produits écologiques qui permettront de créer de nouveaux emplois et de faire croître l’économie. En fin de compte, nous espérons être en mesure de remplacer totalement les plastiques synthétiques fabriqués par des industries plus polluantes. »

M. Rogers considère le Canada comme un pays où l’on comprend l’importance de la durabilité et de la chimie verte. « Il y a ici une réceptivité envers l’innovation axée sur l’amélioration de la vie humaine qui ne découle pas seulement du désir de faire de l’argent, a-t-il remarqué. Et l’Université McGill est le meilleur endroit au monde pour travailler à la réalisation de la technologie durable. »