Le lien entre la photonique et la psychiatrie semble a priori difficile à établir. Cependant, Pierre Marquet sait que le jumelage de ces deux disciplines pourrait contribuer à prévenir le développement de troubles psychiatriques chez les enfants à risque.
« Il est vrai que le fossé est grand entre les deux disciplines, indique le docteur Marquet. En fait, il ne s’agit pas tant de les jumeler que de concevoir de nouvelles technologies de pointe pour un tout nouveau domaine : la neurophotonique. »
Le docteur Marquet est le titulaire de la Chaire d’excellence en recherche du Canada sur la neurophotonique de l’Université Laval. Il vient de s’établir à Québec après avoir vécu en Suisse, où il était directeur d’une unité de recherche en neurosciences au Département de psychiatrie du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), à Lausanne, et responsable de la section spécialisée dans la prise en charge des troubles de l’humeur et de la personnalité.
Il souligne que les prises en charge qui existent actuellement pour gérer les grands troubles psychiatriques tels que la schizophrénie, les troubles bipolaires et les dépressions graves sont « nettement insuffisantes ». Il est d’avis qu’un obstacle qui empêche que l’on fasse d’importants progrès dans ces prises en charge est le manque d’outils adaptés pour identifier les biomarqueurs. De tels outils permettraient en effet d’effectuer des dépistages précoces et de mettre en place un suivi des enfants à risque.
Les troubles psychiatriques sont des maladies pour lesquelles nous ne possédons à l’heure actuelle pratiquement aucun biomarqueur fiable.
« Si nous pouvions déceler plus rapidement un trouble psychiatrique grave, estime-t-il, il y a fort à parier que son évolution serait plus favorable pour la personne atteinte. »
Bien que les progrès spectaculaires réalisés dans le domaine de la neuro-imagerie (en ce qui concerne l’imagerie par résonance magnétique et la tomographie par émission de positrons, par exemple) nous permettent de commencer à entrevoir les relations entre le psychisme et le cerveau, les discrets changements cérébraux qui accompagnent une modification de l’état mental d’une personne restent encore difficiles à déceler. Le docteur Marquet pense toutefois que des « approches multimodales » associant les outils existants de l’imagerie cérébrale à de nouvelles techniques, notamment optiques, pourraient permettre d’améliorer considérablement la détection de ces discrets changements cérébraux. On obtiendrait ainsi des diagnostics plus rapides – peut-être même avant l’apparition de tout symptôme clinique invalidant. De tels outils aideraient également à suivre l’évolution de la maladie chez un patient.
« Les techniques de photonique ou d’optique avancées peuvent s’avérer fort utiles, indique le docteur Marquet. Nous pouvons utiliser, en combinaison avec l’IRM, des techniques non invasives telles que, entre autres, la spectroscopie dans le proche infrarouge pour examiner en détail l’organisation structurelle et fonctionnelle complexe du cerveau et mieux repérer et comprendre, à leurs stades précoces, les processus neurobiologiques complexes qui peu à peu vont altérer de façon notable le fonctionnement du cerveau et conduire à l’apparition de troubles psychiatriques. »
Le docteur Marquet s’emploie à identifier ce qu’il qualifie de « nouveaux biomarqueurs (ou indicateurs) de la vulnérabilité » à de futurs troubles psychiatriques – surtout chez les enfants issus de familles où l’un des parents sinon les deux souffrent d’un trouble psychiatrique, puisque ces enfants courent davantage de risques d’être eux aussi touchés par un tel trouble plus tard dans leur vie, au début de l’âge adulte.
« Les troubles psychiatriques sont des maladies pour lesquelles nous ne possédons à l’heure actuelle pratiquement aucun biomarqueur fiable, explique le docteur Marquet. En revanche, nous pouvons souvent dépister des maladies somatiques comme le cancer ou le diabète à un stade précoce et suivre leur évolution grâce justement à des biomarqueurs. Plus nous dépistons une maladie tôt, plus grandes sont les chances de la soigner – ou, du moins, d’améliorer de beaucoup son pronostic. »
L’idée que les grands troubles psychiatriques sont associés à des déterminants biologiques déjà présents durant l’enfance n’est acceptée que depuis peu. Le docteur Marquet est d’avis que l’étude de la dynamique de cellules neuronales provenant de malades et de leurs enfants permettra de déterminer de nouveaux biomarqueurs cellulaires de la vulnérabilité aux troubles psychiatriques.